Droits d’auteurs et DRM : les OGM de la création numérique

La lente tactique des industriels
vendredi 23 mars 2007
par  Gaétan RYCKEBOER
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Nous avons récemment eu un vent de panique et une levée de boucliers sur la présentation de la loi relative aux Droits d’Auteurs et Droits Voisins [DADVSI]. Petits copieurs et ténors de la « Communauté Open Source » s’étaient rejoints sur des intérêts communs, sans que l’on puisse réellement distinguer qui voyait sa liberté de copier, et qui voyait sa liberté d’être libre.
Face à l’industrie des loisirs – musique, vidéo – les arguments volaient, tous dans le même sens. Celui de la pluralité de création, et de la nécessité de rémunérer les créateurs.

Certains avaient alors exposé – sans avoir réellement reçu d’écoute – la réelle nature de la rémunération des susdits créateurs, artistes, vidéastes, cinéastes, et la véritable nature des industriels défendeurs de la veuve et de l’orphelin de l’artiste, laissés à eux même par un artiste floué croulant sous les dettes. Exploité par les copieurs sans vergogne qui sévissent à chaque carrefour de la Toile. Rappelons les arguments.

D’un côté, les Industriels. Comme leur nom l’indique, leur objectif est de trouver un maximum de parts de marché pour écouler une production massive. La musique Industrielle est à la musique ce que la tomate F1 est à la biodiversité. Un produit calibré, standardisé, pour lequel on va éduquer « le marché » à le consommer au détriment des autres.
De l’autre, les artistes. Plusieurs objectifs peuvent cohabiter, dont celui – important – de gagner de l’argent, voire de gagner sa vie avec la création/interprétation d’œuvre musicale, écrite ou cinématographique. Les chemins des uns et des autres peuvent se rencontrer, dans certaines circonstances. Mais que constate-t-on ?

Tout d’abord, l’artiste « anonyme » bataille pour trouver quelqu’un qui publiera, éditera, produira son fruit. Une fois qu’il est parvenu à intéresser un producteur, on lui fera comprendre que la diffusion coûte cher, que le producteur prend un risque, et qu’il lui faut quasiment laisser tomber les droits d’auteurs et autres royalties. Cela servira, si le « produit » – que sa création est devenue – marche.

D’autre part, il signe un contrat qui le lie au producteur, qui fixe le montant de ses rétributions, sous réserve d’exclusivité. Habile mécanisme, qui permettra au producteur, en temps voulu, de ne pas produire le dernier disque du contrant, qui aurait libéré l’artiste. Un mise au placard avant la fin de son contrat. Il ne faudra pas que ledit artiste soit libéré de son exclusivité, et qu’il se mette à être connu ! Pendant ce temps, le producteur secoue l’arbre, et sort une nouveauté… qui sera à son tour mise au placard en temps voulu.

Certains s’en sont rendu compte, ce phénomène n’est pas neuf. C’est la raison d’être des labels indépendants : ils n’ont pas la puissance des mammouths de la profession, et suivent réellement l’artiste jusqu’au bout.
Mais alors, comment vit un artiste, si ce n’est sur sa production « diffusée » ? Les écrivains, je ne sais pas. Les cinéastes, non plus. Par contre, les musiciens eux, vivent de leurs concerts. Le rapport des rentrées d’argent, dans un budget d’intermittent du spectacle – c’est-à-dire d’un artiste travaillant suffisamment, est – à la louche – de l’ordre d’environ 1/4 pour les cachets ASSEDIC, 2/3 pour les concerts, et moins d’1/10 pour les royalties. Dans un budget, ça fait 100€/mois de royalties. Une goutte d’eau.
Si l’artiste veut gagner plus d’argent (peut-être même un SMIC, qui sait ?), il lui faut augmenter ce qui est plus facile à améliorer. La part de revenus liés aux concerts. Pour cela, il lui accroître sa notoriété. Comment faire s’il n’y a pas de producteur souhaitant diffuser le disque ? Comment faire si on est en fin de contrat et que le producteur avec lequel l’artiste est lié, ne veut pas sortir le dernier disque ?
Car on le voit alors, la finalité du disque pour la grande majorité des musiciens, c’est de se faire connaître. Seule une partie ayant réussi à vendre suffisamment de disques pour transformer les royalties en revenus conséquents – et par la même renégocier avec le producteur –, ont intérêt à en toucher plus. Mais les dividendes de la vente de disque ne vont pas – dans la grande majorité des cas – dans la poche des artistes, mais des producteurs.

Ainsi, les Industriels du disque ont intérêt à augmenter les revenus liés à la vente de disque, et donc à en limiter le piratage. Pour eux, c’est leur pain. Leur monnaie.
Les artistes, eux, ont intérêt à se faire connaître, et donc à ce que leur production soit diffusée. Pour que leur source de revenus puisse augmenter : qu’on leur commande des prestations de concerts. Les objectifs ne sont pas les mêmes.

Maintenant, considérons le média, et la raison de tout ce remue-ménage. Internet permet la diffusion de contenu en direct, sans passer par les producteurs. En outre, le Peer To Peer [P2P] facilite la diffusion. Des sites comme radioblogclub.com, ou des logiciels tels kazaa ou bittorrent sont des vecteurs de propagation royaux pour les artistes. Les industriels l’ont compris, et pour empêcher que l’on puisse ne plus passer par eux, empêchent ces systèmes de fonctionner. DADVSI. Inapplicable, mais terriblement dissuasif. On parvient à prendre un pauvre gars, on le montre en exemple, et le message « Internet, c’est la mort de l’artiste » est passé.
Non. Internet, c’est la mort du producteur. C’est l’Industrie du disque qui est mise à mal, pas la création artistique. D’ailleurs, depuis quand Industrie rime avec Création ?
Le producteur industriel a un intérêt, le contrôle de la chaîne de fabrication du produit. Tout industriel a cet objectif. Remonter la chaîne de production jusqu’à la matière première, puis la redescendre pour contrôler sa distribution. Un vendeur de voiture devient métallurgiste, puis vendeur de bateaux. De même, l’Industriel de la musique se doit de contrôler le média. De bout en bout. Internet, c’est son épine dans le pied. Incontrôlable.

Maintenant que vous êtes arrivés si bas dans votre lecture, vous vous demandez pourquoi je ressors tout ça ?

C’est là que le problème se complique. Un serpent de mer. Le monstre du Loch Ness, celui dont on parle – de temps en temps – quand les marins affolés rentrent au port, et que l’on oublie sitôt le frileux reparti.
Le MP3 se copie, et se diffuse. Supprimons le MP3, et remplaçons-le par un système qui ne se copie pas. Contrôlons le poste de travail, le logiciel qui lit le fichier, la clef USB, et enfin, l’emballage. Crypté de bout en bout, l’acheteur-consommateur n’est plus libre d’utiliser ce qu’il a acheté. C’est auto-destructible, et sera détruit si l’utilisateur ne respecte pas la volonté commerciale du vendeur. DRM. Le mot est lâché.
On en trouve sur iTune, chez M6, chez Orange, et sur tous les téléphones portables. On en trouve sur les tuyaux télévisés satellite, sur Canal+ et chez Al Jeezira. Même France Télévision et Radio France en revendent.
Analysons.

Vous achetez un morceau de musique, chez un grand revendeur de musique Industrialisée. « La Femme Chocolat », si vous n’avez pas de crise de foi(e). Vous avez le choix : une ou plusieurs écoutes, un abonnement pour l’écouter pendant une période de temps donné, voire 24h consécutives dans une période de 7j. Prêt à partir au milieu du Bush Australien avec votre iPod, pour marteler 24h durant les aborigènes. Passé les 7j, les morceau de musique s’auto-détruit et il faut à nouveau le racheter.
Allez, je le concède, faire venir ou aller voir Olivia Ruiz en Australie aurait sans doute coûté plus cher, et ça n’aurait duré que 2h.

Il n’empêche que, aujourd’hui ce modèle commercial est séduisant pour les industriels. On peut également imaginer des « droits à vie », qui serait concédés à l’utilisateur (vous), pour faire un équivalent CD.
Oui mais voilà… les DRM ne s’appliquent que difficilement à plus d’un appareil. Vous cramez votre carte mère, les morceaux achetés ne fonctionnent plus.
Qu’à cela ne tienne, les professionnels réfléchissent en ce moment à des systèmes qui permettraient, avec un nouveau type de DRM, de lire des morceaux de musique – ou des films – sur d’autres terminaux, ou chez d’autres personnes.
(Cf. http://www.google.fr/search?q=Marli... )
Autrement dit, pour que les DRM soient acceptées et servent à quelque chose, il faut d’abord qu’elles soient faciles à utiliser. Et surtout, qu’elles ne soient pas trop contraignantes.
Sur le point des DRM disponibles à ce jour, quelles sont-elles ?
- OMAv2, utilisée principalement sur les téléphones portables
- FairPlay, la DRM Apple. Compatible avec elle-même, impossible d’en faire quoi que ce soit. Interdit de l’utiliser, sauf par iTunes Music Store © Apple.
- Helix. La DRM de Real. Ils viennent de l’abandonner.
- wmDRM, plusieurs versions existent.
- Marlin, anecdotique.
Pour que le client soit content d’utiliser de la DRM et qu’il abandonne le MP3, il faudrait que ces DRM soient compatibles. OMA & Marlin, pas de souci. C’est faisable. FairPlay, ce n’est pas faisable. De toutes les façons, elle ne sert que pour Apple & iPod. wmDRM : non seulement elle n’est pas compatible avec les autres, mais en plus, il faut la version de WMP qui va bien pour pouvoir l’utiliser. ie. par le jeu des versions, ne comptez pas regarder « D&CO » ou « Côté Jardin » (M6 & France 5) sur un Macintosh : il y a un problème de version de quelque chose quelque part.
En outre, wmDRM représente 80% du marché de la DRM. Effet réseau non négligeable, elle en appelle d’autres.
Enfin, toutes les tentatives pour rendre compatibles les DRM entre elles se heurtent – à un moment ou un autre – à l’aspect « closed » de la wmDRM, qui impose d’utiliser un plugin développé par Microsoft, totalement opaque. Impossible d’en tirer la moindre information utile.

En conséquence de quoi, il y a deux types de systèmes de DRM qui se dégagent.
a) les systèmes interopérants, qui conduisent à de multiples connexions vers une architecture centrale. C’est long et pénible. C’est complexe à gérer.
b) Les systèmes wmDRM, Microsoft fait en permanence évoluer vers le « plus de fonctionnalités » (plus de modèles commerciaux). C’est envisageable de faire du 100% wmDRM, d’autant que les gros industriels le font déjà. Ils ne s’embêtent déjà pas plus avec Macintosh qu’avec Linux. Leur cible est claire.

Autrement dit, et c’est le point important, il y aura – dans l’avenir – de la DRM partout, parce que les industriels y ont un énorme intérêt. Si des systèmes alternatifs à la wmDRM existent, ils seront complexes, et minoritaires.
Ce qui se dessine aujourd’hui, c’est qu’après avoir contrôlé le desktop, Microsoft détient – enfin – un moyen de contrôler totalement le contenu. Ce n’est pas une supposition, c’est ajourd’hui une réalité.

Et nous les laissons faire.

Cet article est écrit sous Creative Commons (GPL), et est à ce titre, librement redistribuable.


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